Cas Clinique
Souffrant de trouble obsessionnel compulsif (TOC), Izza[1] est une femme âgée de 29 ans, divorcée d’un mariage, qui a duré trois mois, sans enfants. Issue d’un milieu conservateur et, fait partie d’une fratrie de cinq garçons et une fille. Elle prend la dernière position. Sans emploi, vit avec les membres de sa famille qui partagent le même espace, où vit père, mère, frères et sœurs, belles sœurs et petits enfants selon la tradition.
Quand Izza s’est présentée en consultation, elle traîne derrière quatre ans de souffrance qui envenime sa vie et la cloisonne en dehors de la vie active au sein de l’espace familial et social. Et même, étant seulement, parmi les membres de sa famille, elle se plaigne de ne pas pouvoir remplir et agir, comme il se doit, en tant que membre de ce noyau familial, son rôle, en tant que femme et ce à plusieurs niveaux. Malgré la tolérance de son entourage familial, Izza se sent mal et voulait, coûte que coûte, changer sa situation. D’un autre côté, elle a refusé plusieurs offres de mariage et a arrêté de participer à tous les événements sociaux de la famille ou des amis à cause de son trouble.
Sa souffrance avec son trouble obsessionnel compulsif se manifeste par plusieurs éléments duquel je cite, à titre d’exemple, ce qui suit :
- Se laver les mains au savon, au moins une dizaine de fois par jour, dès qu’elle a eu un contact avec une personne ou un objet et qu’elle a l’idée que c’est peut être sale.
- Au sein de l’espace familial, à chaque espace: cuisine, séjour, salon des invités, etc… il y a toujours un coin bien délimité réservé pour Izza et interdit d’accès à tout le monde sauf elle.
- Depuis l’apparition de ses premiers symptômes, Izza ne prenait plus son hammam avec les autres femmes de sa famille. Le hammam étant dans l’enceinte de la maison familiale; elle devait toujours passez par le rituel de nettoyage, qu’elle devrait faire elle-même et personne d’autre, après le passage des autres femmes de la famille. Ce nettoyage durait un minimum d’une heure. Et seulement après, elle prend son hammam qui dure jusqu’à trois heures pour combler le besoin et le sentiment de propreté afin de se sentir mieux.
- Tellement elle souffrait avec l’arrivée des règles chaque moi, Izza a consulté un gynécologue pour lui prescrire des médicaments lui permettant l’inhibition des règles, trois ou quatre mois, puis arrêter la prise pour avoir les menstruations le mois suivant et, recommencer le cycle selon sa convenance en s’aidant avec les médicaments.
- Aussi, elle souffre qu’elle est incapable de tenir dans ses bras, son petit neveu récemment né. La mère du bébé invite Izza toujours à le prendre juste après la fin de sa toilette; pour écarter la naissance de toute pensée négative relative à sa propreté chez elle. Son désir de le prendre, et ne pas pouvoir, lui fait endurer beaucoup, au point qu’elle avait les larmes aux yeux quand elle évoqué cela.
- Quand elle est dans l’obligation nécessaire de se déplacer quelque part, elle est toujours accompagnée de l’une de ses sœurs, en particulier, qui lui procurait un sentiment de sécurité, par sa présence à ses côtés. Cette sœur était la seule personne qui apaise, selon Izza, par ses paroles et sa présence, le début des crises d’Izza. D’ailleurs, lors de la première consultation la présence de sa sœur était cruciale pour le déroulement de la séance.
En tant que cas clinique, Izza posait certaines difficultés. Comme son niveau d’instruction qui n’a pas dépassé le primaire. Sa provenance d’un milieu paysan très conservateur originaire d’une région qui a ses spécificités culturelles. Par exemple, au niveau du langage utilisé très limité ajouté à une attitude très conservatrice quant à l’expression et le débat d’éléments de l’intimité de la femme devant un homme (les menstruations, les rapports intimes avec l’ex-mari,…).
En plus de cela, la grande attente du psychologue, qui reste un professionnel dont le type d’intervention est méconnu, et souvent confondu avec le psychiatre, mais sur qui on accroche tous les espoirs à avoir la solution, plutôt le médicament miracle et magique pour la résolution du problème. Cette association entre guérison et médicament est souvent présente chez beaucoup de patients provenant du même milieu. Alors, ils imaginent mal que la guérison peut parvenir de protocoles basés uniquement sur l’échange, l’analyse et l’interprétation, selon les contextes, du discours et du contenu de la communication. Cette attente était encore renforcée et alimentée par l’absence de résultats palpables après maintes consultations chez d’autres professionnels, notamment neurologues et psychiatres.
TOC et protocoles thérapeutiques
La littérature scientifique relative aux recherches sur les troubles compulsifs obsessionnels stipule que les protocoles utilisés, pour la prise en charge des patients souffrants de ce trouble, ne donnent pas les résultats escomptés par le patient et le professionnel. Là où on constate une nette amélioration de l’état du patient c’est quand il y a combinaison de deux protocoles : psychiatrique et celui de la Thérapie Cognitive et Comportementale (TCC). Avec cette combinaison, des résultats significatifs apparaissent, en moyenne, après trois mois de prise en charge.
En général, un patient quand il consulte c’est que le degré de sa souffrance a atteint un niveau insupportable et commence à affecter le cours normal de sa vie à plusieurs niveaux. En conséquence, il est habituel qu’il arrive avec une attente qui est démesurée par rapport à ce qui est possible. Encore plus, avec le cas d’Izza qui sombrait dans cette souffrance depuis plus de quatre ans et ce, malgré sa prise en charge par des psychiatres, des neurologues et des médecins généralistes. Donc, non seulement l’attente est grande, elle est aussi couplée à l’attente de résultats et de changement d’état dans les plus bref délais ; après la première consultation par exemple. Ce genre d’attitude compromet, dans la majorité des cas, l’alliance et le processus thérapeutique par son arrêt brusque et unilatéral de la part des patients mal informé.
Devant cette situation, et après avoir récolté l’information nécessaire pour encadrer son cas, j’ai décidé d’utiliser l’outil hypnotique pour se rendre compte de son efficacité ou non pour le traitement de ce trouble. Mais, se posait encore le problème de la nature du protocole qui sera le plus efficace et le plus compatible à son cas, compte tenu que, tout protocole basé sur un script posait problème, d’un point de vue linguistique dans le sens où les protocoles hypnotiques que j’ai eu l’occasion d’apprendre lors de ma formation en hypnose et leurs scripts sont en langue française et Izza ne maîtrise même pas l’arabe classique convenablement.
Opter pour la traduction, avec toute la rigueur qu’il faut engager pour le choix des mots, la mise en contexte culturel et le temps que cette entreprise allait prendre, était exclu comme choix compte tenu, de l’urgence du cas d’Izza et son impatience à capter la moindre petite ouverture vers le changement de son état. Changement qui lui permettra de sortir de son désespoir.
Ma recherche s’est orientée vers un protocole qui devait être rapide, aisé à maîtriser en arabe dialectal, et surtout compatible avec le cas du sujet. Le choix s’est arrêté sur le SCORE pour réaliser le premier volet du travail thérapeutique. Il est très utilisé en programmation neurolinguistique (PNL) et permet l’ancrage dans l’espace des différentes étapes composant sa structure. Le SCORE permet la définition d’objectif avec plus de liberté et de largesse tout en induisant des états hypnotiques légers au passage de chaque étape. Utilisé de cette manière, le SCORE permet un travail global et progressif créant un important impact de changement.
Pour réaliser le deuxième volet, J’ai utilisé la PTR (Psychothérapie du Trauma Ré-associative), technique thérapeutique développée par G. Brassine. Elle se base sur le travail avec une forme d’hypnose légère et « active », au sens où patient et thérapeute restent en conversation à tout instant. Le patient est en état modifié de conscience permanent. Il expérimente quelques phénomènes hypnotiques, est entraîné à gérer son système nerveux autonome (émotions et sensations), à reconstruire son sentiment de sécurité et de confort afin de se protéger d’un retour d’éléments amnésiés. » G. Brassine[2]
Selon les données recueillies lors de l’anamnèse, j’ai pu identifier que c’est la période de mariage (3 mois) d’Izza qui a constitué le foyer sous-jacent des manifestations de ses troubles obsessionnels compulsifs. En effet, durant cette période, Izza a vécu des situations très traumatisantes. Malgré ses plaintes auprès de sa mère et ses sœurs, il lui a été demandé de patienter et de supporter. Ceci est de coutume dans la région et dans ce genre de famille conservatrice. Izza, déployait toute son énergie psychique pour faire face aux traumatismes causés par la consommation de ce mariage avec un mari sale. Elle tentait, en vain, d’assurer un pseudo équilibre lui permettant de couler une existence difficile.
En fait, son ex-mari était mécanicien. Quand il rentrait le soir, il ne changeait pas ses vêtements de travail par des propres. Il ne prenait pas de douche après son travail et, presque tous les soirs, était saoul et ne supportait pas l’alcool. Sous l’effet de la boisson, Il a fait pipi au lit maintes fois. Il a vomis à plusieurs reprises et Izza, avait le devoir, et l’obligation, de nettoyer en silence et dans le secret vis-à-vis de sa belle-famille et des autres. La goutte qui a fait débordé le vase d’Izza, face à tout cela, était quand son ex-mari, étant totalement saoul, l’a sodomisé de force. Cet abus sexuel l’a fortement affecté surtout qu’Izza a évalué et perçu cet acte abusif strictement et fermement selon un filtre religieux. D’ailleurs, c’est ce fait qui lui a permis de se délivrer de ce mariage vu que pour sa famille ce mari a dépassé une ligne rouge. Le divorce a été conclu avec l’aide de sa famille.
La patiente n’est pas restée beaucoup de temps, pour que les premières manifestations de son trouble se fassent observées par elle-même et par les membres de sa famille. Alors, commence la course à la recherche de la guérison et l’apaisement en consultant plusieurs professionnels de santé. Du médecin généraliste, en passant par le neurologue et les psychiatres. Aussi, la famille a essayé les méthodes traditionnelles en croyant que la patiente a été obsédée par des esprits maléfiques. De ce côté aussi, aucun résultat, aucune amélioration ou diminution de la souffrance de la patiente.
Après ces essais en quête de guérison sans résultats, la patiente commençait à désespérer. Devant ce désespoir et pour alléger sa souffrance et frayer la chronique de son vécu douloureux, la famille a décidé de lui offrir un pèlerinage aux lieux saints. D’après Izza, cette initiative lui a apporté beaucoup de réconfort. Elle a observé une accalmie quant à son trouble surtout, durant la période passée en lieux saints et après la rentrée du pèlerinage. Mais, ceci n’a pas durer très longtemps pour que la souffrance, avec son trouble, reprenne de nouveau.
Première séance
Lors de cette consultation, il était question, tout d’abord, de s’entretenir avec la patiente afin de déceler et corriger certaines idées pré-reçues, notamment, l’attente d’un résultat immédiat après cet entretien, aussi la mise en exergue de la différence entre un psychologue et un psychiatre et que ce premier ne prescrit aucun médicament.
Ce premier contact était l’occasion de semer les graines pour créer une alliance thérapeutique. Aussi, exposer et soumettre l’idée des possibilités du changement et son accessibilité. Cet objectif implique l’acceptation et l’engagement nécessaire de la patiente. Aussi, l’exploitation de ses propres ressources selon mes orientations et ma guidance pour atteindre le résultat dans un cadre et un climat de sécurité et de confiance.
Après l’anamnèse et le recueil de toutes les données relatives à la patiente. Notamment celles permettant de mettre la lumière sur son fonctionnement, son état présent, son état désiré. Et sans oublier les obstacles à son changement (croyances, résistances, système de valeurs) ; nous avons fixé le rendez-vous de la deuxième séance.
Deuxième séance
Après une semaine de notre première rencontre, la patiente me paraît impatiente à commencer le travail qui lui permettra de palper et de visualiser les voies de sorties de son état.
Je lui ai expliqué le fonctionnement du SCORE. Les étapes que nous allons devoir réaliser et la chronologie du passage d’une position à l’autre. L’utilité de la position neutre ainsi que l’éventualité de la toucher sur l’épaule (pour l’ancrage), etc…
Après avoir m’assurer qu’elle a bien compris tout cela, nous avons entamé l’exécution du protocole.
Sur la première position je lui ai demandé de me donner une évaluation, sur une échelle de dix, de l’intensité de son problème et de sa souffrance. Elle a déclaré 10/10 et même plus. Après le premier passage, j’ai reposé la même question. Elle a répondu que l’intensité est en baisse.
Pour être sûre, je lui ai fait effectuer un deuxième passage tout en en posant d’avantage de questions. A la fin de ce deuxième passage, la valeur finale de son évaluation relative à son problème est descendue à 6/10.
C’était très significatif comme résultat compte tenu des raisons évoquées ci-haut. Surtout le problème du langage de communication et le fait que c’est la première fois que je pratique le SCORE en dialecte. Alors, j’ai décidé de mettre fin à la séance pour la revoir après 15 jours.
Troisième consultation
J’ai décidé que cette séance serait pour désensibiliser les différents traumas vécus lors de la période du mariage en commençant par les traumatismes les moins lourds. Le respect de la première règle d’or de la PTR, à savoir zéro douleur pour la patiente, était de rigueur.
Pour cela, j’ai débuté par plonger progressivement la patiente dans le souvenir agréable du pèlerinage aux lieux saints. Au fur et à mesure qu’elle plongeait, je l’orientais vers l’exploration, la perception, l’acquisition et l’amplification de toutes les sensations, les émotions positives et la localisation des ressentis physiques dans les différentes parties de son corps.
Dès qu’elle était bien plongé dans son souvenir agréable et, était prête à travailler sur un des traumatismes moins lourd. elle était invité à ramener des éléments de la scène traumatique, un par un. Puis, de procéder aux modifications qu’elle jugeait nécessaires et capables, de désensibiliser l’impact négatif et, de modifier sa mémoire traumatique. Durant ce processus, ma présence était constante à travers un discours toujours rassurant et sécurisant. Des vérifications, pour s’assurer que le processus se passe sans souffrance ni reviviscence, ont été constamment présentes.
Je lui ai suggéré de ramener la scène traumatique, tout en restant dans sa zone de sécurité, en la percevant comme un morceau de film vidéo de sa vie. Ceci, lui a donné l’idée de procéder à la suppression, par exemple, des scènes de vomissement de son mari sur le lit conjugal. De revoir à nouveau le film vidéo pour s’assurer que les modifications faites par ses soins ont été bien intégrées. Lors de la révision de la scène modifiée, la patiente affichait un sourire de contentement et de satisfaction du résultat obtenu.
Nous avons procédé avec la même technique pour le reste de scènes traumatiques. Nous avons laissé la scène la plus lourde, à savoir l’acte abusif du mari sur elle pour la dernière séance. Le processus s’est bien passé pour la désensibilisation des autres traumas. La patiente s’est familiarisée et a compris la technique de travail. La réalisation de modification et de désensibilisation est devenue aisée. Lors du traitement de la scène de sodomisation abusive, la patiente a choisi de visualiser que son ex-mari était tellement saoul qu’il est tombé dans un sommeil profond et d’acheminer la suite directement à son réveil au matin. Ceci a pour effet la disparition de la scène d’abus comme si elle n’a jamais eu lieu.
Bilan thérapeutique
Après la fin de désensibilisations de tous les traumas, la patiente a pu relater les changements suivants, qui ont marqué la disparition totale ou l’atténuation significative des symptômes et manifestations de son trouble obsessionnel compulsif, je cite à titre d’exemple ce qui suit :
- Reprise du bain collectif avec les autres femmes de la famille ;
- Le plaisir de prendre son neveu dans ses bras autant qu’elle le souhaite ;
- Reprise de son cycle de menstruations comme d’habitude ;
- Accès à tout l’espace familial sans réserve de place spécifique pour elle ;
- Reprise de son rôle social au sein de l’espace familial et participation active aux tâches ménagères de tous les jours ;
- Déplacement sans la sœur accompagnatrice comme auparavant ;
- Réduction des lavements des mains au savon à deux fois au maximum par jour ;
- Etc…
Conclusion
Ayant eu ce résultat avec ce cas de TOC en combinant le protocole SCORE et la PTR, je l’ai adopté pour le traitement de cinq autres cas qui se sont présenté avec le même problème. Les résultats étaient très satisfaisants, notamment au niveau de la rapidité du changement et l’immédiateté de l’effet du travail du patient. Aussi, la facilité de poursuite du travail une fois que le patient a maîtrisé la technique. L’alliance thérapeutique gagne davantage en solidité grâce à la souplesse du processus.
[1] Izza est prénom fictif pour la patiente.
[2] http://www.hypnose-therapeutique.com/content/hypnoth%C3%A9rapie-des-stress-post-viols-sous-stup%C3%A9fiants